dimanche 22 septembre 2019

Jour 5 : Sur les traces de Saint-Ex à Tarfaya

Départ : Casablanca Tit Melil GMMT (Maroc)
Escale : Tan-Tan GMTN (Maroc)
Arrivée : Tarfaya GMAF (Maroc)

Distance : 1000 km
Temps de vol : 5h



Azur 6 au départ de Casablanca

Aujourd’hui longue journée, longs vols. Nous partons tôt. Au terrain, nous nous préparons tous à un départ matinale de Casablanca quand un bus d’écoliers arrive, puis un second et un troisième. Une centaine d’enfants sont là pour rencontrer le Raid Latécoère. Nous ne sommes pas les seuls à parrainer une école.

Bertrand Piccard accueillant les enfants sur le terrain de Tit Mellil
Ce répit laisse à l’organisation le temps d’affiner les relevés météo et à Lolo le temps de faire tamponner nos carnets de vols par la tour de Casablanca Tit Mellil.
La configuration de l’équipage change encore ce matin, je passe pilote avec Laurent en copil et Camille en radio.

Eddy et Laurent prêts au départ
Nous avons 4h de vol non-stop pour relier Casablanca à Tan-Tan dans un premier temps puis Tarfaya en passant par Essouira et Agadir. C’est la première fois pour Eddy d'enchaîner un vol si long.  La question des toilettes refait surface ... tout le monde se la pose mais personne n’en parle. Le joker est dans le sac si besoin. Pour le reste, on sait faire et le plan est bien en tête.
Nous décollons dans la vague Bravo avec un espacement de 5 min avec le trafic précédent. Nous décollons et à nous le désert.

Cette route Casa - Dakar était mythique, beaucoup de pilotes de la "Postale" voulaient voler dessus pour la tranquillité et la splendeur des paysages. Rien n’est plus paisible et reposant qu’un paysage mi-désertique et mi-côtier. A son arrivée dans l’Aéropostale, Mermoz est d’abord envoyé sur la ligne Toulouse - Barcelone pour se faire la main alors qu’à la même époque on étend la ligne connu jusqu'à Dakar. Il rêve d’intégrer ce tracé si particulier qui est défriché par les pilotes renommés de l’époque. Kessel écrit que sur ce tracé, Mermoz retrouvera le même esprit du vol qui l’a rendu accroc à Palmyre où il était pilote dans l’Armée de l’Air. Ce moment où il a compris qu’il était fait pour ça.

La journée qui nous rembourse de toutes nos peines : vol sans histoire vers une destination mythique. Les espaces aériens se simplifient. Nous arrivons dans le désert. Le vol est long mais le vent nous pousse : alors qu'il n' y a pas grand-chose à faire, les impressions sont fugitives. Les champs cultivés autour des villages dans le sud de Casablanca font place à des paysages de savane, quelques arbres, des buissons.



En suivant la côte, des plages immenses et désertes. Parfois des oueds à sec creusent des vallées où subsiste un peu de végétation. Le reste du paysage est minéral, sable et pierres. Nous enregistrons des images de temps en temps, mais nous pourrions laisser tourner la caméra. Au sud d'Essaouira, nous longeons les falaises. Des parapentes et des kitesurfs apparaissent de temps à autre.

Les côtes du Maroc








La baie d' Agadir est entièrement recouverte de nuages bas que nous survolons. La mer et la ville ont disparu sous le coton.

La baie d'Agadir sous les nuages
Nous retrouvons la vue du sol une fois revenus sur le rivage, de l' autre côté de la baie. Il y a une zone militaire active dans le sud du Maroc. Son contournement nous oblige à nous enfoncer dans le désert. Paysages de cinéma. On dirait le décor de la guerre des étoiles. Le vol se transforme en course d' endurance : nous grignotons en vidant nos bouteilles. Puis nous arrivons à l' escale.

La guerre des étoiles ? Tatooine ?

Camille qui prend des photos du décor désertique

L'équipage en mode survol du désert (et de l'eau ... sinon pourquoi les gilets ?!)
Arrivée à Tan-Tan nous cherchons la piste en plein désert. C’est simple, il n’y a absolument rien autour à part le petit village de Tan-an. Plus nous descendons vers le sud, plus la vie se raréfie.
La piste est immense : à l'arrivée, nous voyons d'abord le fossé rectiligne de la clôture d'enceinte, assez grand pour être confondu avec la piste. En fait, la piste est encore plus grande. Comme si un ingénieur excentrique avait décidé de construire un autoroute en plein désert, au départ d’une oasis, avait changé d’avis et laissé le chantier en l'état. Finale de 747.
Au sol, on reprend son souffle, on se dégourdie les jambes et constate que la transpiration nous a sauvé du joker toilette. C’est l’avantage de ce climat chaud. Mais attention à ne pas se déshydrater pour autant. Nous mangeons sous l’aile de l’avion, protégés du soleil et ébouriffés par le "mistraahl" (ils ont aussi du vent fort dans le désert…).

Et c’est le départ pour Tarfaya, la version ailée du pèlerinage à Saint-Jacques.
Pour l’occasion, ce sera Laurent qui posera l’avion sur l’ancien terrain de Cap Juby. La piste est limitative, 680 m dans le sable. 3 grandes antennes se trouvent légèrement décalées de la trajectoire en finale et nous partons après 4h de vol déjà assumées. Cette arrivée légendaire est mis entre les mains du plus expérimenté à juste titre pendant que Camille et moi ferons des images souvenirs.
Plus nous nous rapprochons, plus nous entendons nos compagnons de voyage s’exciter à la radio. Le leader est déjà posé et régule le trafic avec une radio portative. 3 zones d’attentes ont été installées dans le circuit de piste (à l’approche du terrain, début de vent arrière et fin de vent arrière). Nous entendons que les bouchons commencent. Et oui, même dans les airs il peut y avoir des bouchons, à 23 avions ce n’est pas étonnant sur un terrain ouvert seulement quelques fois par an. De plus, la piste étant sur le sable, il nous est demandé de couper le moteur rapidement pour manœuvrer l’avion à la main une fois l’atterrissage accompli. Nous réduisons notre vitesse bien en amont pour réduire les embouteillages et la stratégie est payante.

L'expérience du vol en groupe accumulée les jours précédents commence à se faire sentir. Nous profitons de ces conditions pour regarder le désert affirmer sa présence : nous n’avions pas vu de dunes jusque là, et, après la traversée de l’embouchure d’un fleuve côtier, en voilà de longs cordons, sculptés par le vent. Vu du ciel, ça ressemble aux écailles d’un poisson. Rien d'étonnant finalement, puisque nous arrivons dans un pays de pêcheurs.

Embouchure  se dit Foum en marocain
Nous arrivons sur Tarfaya seul en tour de piste et sans attente. Lolo est plus concentré que jamais.
Le Petit Prince nous regarde, alors on s’applique. La routine du vol empêche de s’attendrir, et le terrain n’est pas facile, mais l'émotion est bien réelle : les poils frémissent sur les bras et les nuques. Nous observons le site avec des yeux d’enfants. Nous y sommes ! Cap Juby est là sous nos yeux, et nous allons nous y poser. Laurent procède à la vent arrière au dessus du port de Tarfaya puis vire en base avec un beau visuel sur les antennes menaçantes. Effectivement, une fois en finale, le saumon de l’aile ne passe pas très loin d’elles. Lolo maitrise et nous faisons un atterrissage parfait qui aurait peut-être pu rendre fier Saint-Exupéry. Demi-tour, roulage, extinction du moteur, allumage coupé. On nous pousse sur le parking. Azur 6 est arrivé à destination.

Beaucoup de monde nous attend au sol. Alors que nous prenons quelques secondes pour reprendre nos esprits et réaliser ce que nous venons de faire, Camille ouvre la verrière et nous entendons contre toute attente : « Azur 6 ! Azur6 ! Azur 6! ».
Nous nous retournons, un groupe d’enfants scandent nos prénoms et celui de l’équipage en brandissant des pancartes avec le portrait et le nom de l’équipage. Incroyable, les enfants que nous parrainons ont fait le déplacement depuis Laayoune pour venir nous voir atterrir. Ce cadeau est inestimable. A peine sorti de l’avion, ils courent vers nous.

Les enfants de Laayoune au pied de l'avion Azur 6
Ils se posent dans le sable face à nous, nous leur disons bonjour individuellement en leur tapant dans la main puis nous nous asseyons près d’eux dans le sable pour une petite discution.
Eddy commence à signer des autographes ! Bertrand Picard est venu en ambassadeur des aviateurs du monde entier. Pas de bol, Eddy lui vole un peu la vedette en signant T-shirt et casquettes. On dirait les Beatles a Wembley. Lolo et Camille font la visite de l’avion, qui se remplit de sable. Qui n’a jamais rêvé de faire des pâtés de sable dans un avion ?

Le bonheur réside des ces petits moments de la vie
L’institutrice est là avec le directeur de l’école et quelques parents d’élèves. Tout le monde est ravi, nous les premiers. Armés de stylos, nous signons des autographes à tous ces enfants sur tout type de support : papier, casquette, livre, t-shirt et même sur les bras de certains. C’est l’euphorie. Nous ne comprenons pas ce qui nous arrive mais les enfants sont heureux et nous aussi. Nous leur montrons ensuite l’avion, le cockpit et on leur explique comment ça marche.
L’institutrice nous remet alors quelques cadeaux : la rose du Petit Prince, confectionnée par les enfants, un exemplaire du Petit Prince écrit en Arabe et un petit livre sur Laayoune et son école. Enfin, ils nous remettent une valise où ils ont préparé un musée itinérant sur leur culture que nous avons pour mission d’emmener à Essaouira via Dakar. C’était le deal de notre parrainage. Nous acceptions tous ces présents comme un immense honneur et nous leur disons un grand merci pour le moment inoubliable qu’ils viennent de nous offrir.

La valise d'expo itinérante
Pour l’anecdote, les enfants étaient tellement heureux de nous voir que nous avons probablement eu plus de câlins et signé plus d’autographes que notre parrain d’édition alors présent lui aussi sur les lieux. C’était de la folie. C’est pour ça que nous faisons ce Raid, pour raviver en nous mais aussi chez les autres, cet esprit euphorique de rêve que suscite l’aviation depuis toujours.

Photos de famille avec la classe de CM2 de l'école Paul Pascon de Laayoune et Azur6
Les enfants reprennent la route, nous redescendons tranquillement de notre nuage pour bientôt bondir sur un autre tout aussi incroyable. Une fois l’avion protégé du sable, nous filons vers le musée Antoine de Saint-Exupery entretenu par l’association « Les amis de Tarfaya » qui veille aux bonnes relations et à la commémoration de l’Aéropostale. Ce petit musée regorge de trésors dont une statue du Petit Prince offerte par le Raid Latécoère l’an dernier pour le centenaire du premier vol de PG. Latécoère.
Eddy et son pote Saint-Ex dans le musée de Tarfaya
Ensuite nous filons sur la plage où le traditionnel match de foot entre les participants du Raid et l’équipe locale de Tarfaya a lieu. Nous profitons de ce moment de convivialité pour savourer l’instant présent au bord de l’océan au coucher du soleil. En arrière plan, le fort de Cap Juby avec une stèle en forme de biplan comme pour rappeler la mémoire de ces pionniers passés ici à la croisée des lignes aériennes.
Azur 6 au pied du fort de Cap Juby, devant la stèle des pionniers
Un des membres du staff a dit : « les religieux ont la Mecque ou le Vatican, les pilotes ont Cap Juby. Ce lieu est très particulier car singulier et disposé sur un bord de mer au milieu de nulle part mais ayant une place stratégique lors des années postales. Les pilotes transitant de Casablanca jusqu’à Dakar n’avaient pas beaucoup d’escale sécurisé sur le trajet, seuls quelques endroits leur permettaient de se poser en toute sécurité. Tarfaya faisait partie de ces endroits. Mais au delà, ce petit fort espagnol servant de lieu de rassemblement de pilotes était mystique par son isolement. L’atmosphère y est légère et apaisante. Sur le sable on entend de très loin le bruit des vagues de l’océan et le vent marin apporte un peu de douceur au tableau. Et pour couronner le tout, le grand Antoine de Saint-Exupéry y a été chef d’aéroplace pendant plusieurs années. Son travail consistait à maintenir cette place forte sécurisée pour les pilotes et, le cas échéant, négocier avec les tribus Maures, qui capturaient les pilotes posés en raison de pannes, la rançon de la libération. La légende dit que c’est en ces murs que Saint-Ex aurait écrit certains de ses ouvrages et qu’il aurait eu l’inspiration pour le Petit Prince. Ce lieu est donc empli d’une grande histoire.

Le reste de la soirée se passera dans un bivouac monté et proposé par le gouverneur de la province de Tarfaya sous le haut patronage du Roi du Maroc, rien que ça. Nous sommes reçus comme des princes des milles et unes nuits. Nous n’oublierons décidément pas cette journée incroyable.

Fin de soirée en bivouac marocain



1 commentaire:

  1. grande émotion en vous lisant!!" Fais de ta vie un rêve et de ton rêve une réalité" Saint Ex

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